Dominique Manotti : comment re-écrire l’Histoire et les « années de plomb »

evasionDans son nouveau polar, L’Evasion (*), Dominique Manotti s’inspire du parcours des réfugiés politiques italiens durant les années de plomb en France pour nourrir un récit sec et nerveux.

Historienne de formation, et ayant vécu un long passé militant, Dominique Manotti, née en 1942 à Paris,  raconte plusieurs histoires dans ce polar dont la figure centrale est Filippo Zuliani, jeune délinquant italien évadé de prison avec  Carlo, un vieux militant de l’extrême gauche. Dans sa cavale en solitaire,  et en suivant les conseils du dernier message de Carlo, il trouve refuge, en 1987, à Paris chez des contacts de son ancien compagnon de taule. Embauché comme gardien de nuit, il se met alors à écrire pour séduire une des femmes qui l’héberge et sortir de sa solitude extrême. Une manière aussi de se construire une autre vérité et de repenser sa personnalité. Mais ce roman va déclencher un jeu complexe entre réfugiés politiques, police et services secrets italiens…

Tout l’intérêt de ce livre court, dense et à l’écriture rapide est de ne pas raconter l’Histoire -avec, en toile de fond, les dérives des Brigades rouges et autres groupes d’activistes italiens- mais de s’interroger sur les histoires qu’on peut raconter, et les variations qu’on peut leur faire subir. A ce jeu trouble, la vérité ne sort jamais gagnante et Dominique Manotti nous guide dans un univers complexe où l’écriture sur le réel est une manière de lui échapper, de dépasser la prison des faits.

Occasion est alors donnée à la romancière de revenir aussi sur les manipulations orchestrées par les services secrets italiens alliés à une partie de l’Etat lors des  fameuses  » années de plomb « . De fait, bien des  zones d’ombres subsistent depuis l’attentat de la piazza 4229ef8f4f8fe77100cdab5fe839f275Fontana à Milan qui, le 12 décembre 1969, fit quelques 17 morts et 88 blessés!  A l’époque, l’enquête fut marquée par la  » défenestration  » en garde à vue du principal suspect, Pinelli, un cheminot anarchiste célébré depuis dans une chanson très connue dans la Péninsule. Cependant, bien des années plus tard, les magistrats furent conduits sur la piste des néofascistes !  Le polar est alors un support idéal pour évoquer le rôle de la justice italienne dans ces affaires. Ainsi fait-elle dire à un de ses protagonistes qui évoque l’utilisation du spectre du communisme rouge pour garantir le pouvoir de la droite néo-libérale italienne : « (…° à l’échelle italienne, ils peuvent tenter une mise en scène à grand spectacle : nous sommes les grands méchants qui occupons les premiers rôles, et donc les tribunaux, les unes des journaux. Et derrière, on escamote leurs turpitudes à eux, la stratégie de la tension, les massacres de masse, les services secrets, la loge P2, la mafia. Si l’on demande au juge de l’affaire Pinelli de rédiger le livret, le spectacle sera sans doute plus convaincant. »

Entre réécriture de l’Histoire et invention littéraire autour du soi,  ce polar, outre un retour sur un passé politique, est une manière aussi de saluer la puissance des mots. Même si, quand le rideau tombe dans un tel contexte, la réalité demeure toujours aussi pesante et le drame présent.

(*)Ed. Gallimard

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