Quand le cinéma rêve de Céline

Auteur aussi incontournable que sulfureux, le créateur de Mort à crédit a toujours fasciné les cinéastes. Louis-Ferdinand Céline et le cinéma(*), de Émile Brami raconte comment bien des grands cinéastes ont rêvé de l’adapter. Jusqu’à ce jour en vain…

Dès sa parution en 1932, Voyage au bout de la nuit a fasciné les producteurs et les metteurs en scène. Si son grand « adversaire » littéraire du siècle, Marcel Proust a été, malgré la difficulté,  adapté au cinéma – avec plus ou moins de bonheur il est vrai –  Céline n’a pas connu le même sort comme le narre par le menu Émile Brami dans Louis-Ferdinand Céline et le cinéma. Et pourtant, quelques très grands cinéastes ont failli être du voyage : de Abel Gance à Sergio Leone en passant par Federic Fellini. On murmure même qu’un certain Francis Ford Coppola en rêvait…

Y-aurait-il une malédiction Céline sur grand écran ? L’auteur nous montre clairement que même si des projets ont été assez loin, l’œuvre de Céline et sa volonté de restituer la réalité avec son style au chaos savamment construit, adapter un tel romancier est d’une grande difficulté : questions de coûts (pour Le Voyage, il faudrait une multitude de décors), questions de dialogues – comment restituer un tel parler sans le trahir – et questions même d’acteurs.

Avec bien des détails, Émile Brami raconte comment le premier projet avec Abel Gance – Céline entretint avec lui des rapports forts- a capoté au dernier moment, alors même que le grand critique d’art Élie Faure avait tout fait pour convaincre le réalisateur de J’accuse de se lancer dans l’aventure Non sans en mesurer la difficulté comme le rapporte cet extrait de lettre où il évoque le choc reçu par cette « orgie littéraire » : « Il faudra faire appel à tout ce que vous pourrez découvrir en vous de mesure et d’équilibre, justement pour maintenir dans l’ordre bondissant de son cœur et du nôtre cette épopée multitudinaire. Quels tableaux à brosser : la guerre, l’Afrique, l’Amérique des buildings et des girls, la banlieue sordide, l’asile d’aliénés ! Je voudrais être à votre place. »

Si l’auteur raconte – et c’est plus connu -comment Michel Audiard a tout fait pour porter ce Voyage sur grand écran, Belmondo devant jouer Bardamu, tout comme François Dupeyron plus récemment, il relate aussi d’autres anecdotes comme celle où, par l’intermédiaire de son ami comédien Robert Le Vigan (aussi grand par le talent que raciste), Céline aurait croisé Pierre Chenal pour lui dire, en montrant son propre nez : « Moi, Chenal, les youtres, je les renifle. Et de loin, j’ai le pif pour ça. » Réplique upercut du cinéaste : « Céline, je m’appelle Cohen et je t’emmerde ! » Brami donne aussi quelques extraits d’un scénario écrit pour le cinéma par l’auteur : Les Secrets dans l’Île

On ne peut évoquer en partie ce rendez-vous manqué de Céline et du cinéma, sans passer sous silence ces dérives antisémites et misanthropes. Après guerre, Céline n’a jamais cessé de sentir le souffre.  Plus littérairement enfin, adapter un tel style ne relèverait-il pas de la gageure ? De fait, le style de Céline a fait concurrence au langage filmé, à communiquer ses vibrations.  André Gide avait fort justement noté : « Céline ne décrit pas la réalité, mais l’hallucination que cette réalité provoque. »

En fin de compte, Émile Brami a eu l’astucieuse idée de trouver quelques influences très nettement « céliniennes dans des films comme dans les dialogues de La Traversée de Paris ou dans  Il était une fois en Amérique.

De ce rendez-vous manqué du cinéma avec Céline, il reste la séquence d’un film : celle de Tovaritch, de Jacques Deval dans lequel Céline fait une apparition en client d’une épicerie en 1935. Il aurait alors dit : « Je veux que des millions de gens me voient sans savoir qu’ils voient Céline. » Un drôle de pèlerin !

(*) Ed. Écriture

Laisser un commentaire

close-alt close collapse comment ellipsis expand gallery heart lock menu next pinned previous reply search share star